Biodiversité

Le développement immobilier met en péril la rainette faux-grillon

Rainette faux-grillon

La rainette faux-grillon est la plus petite espèce de grenouille présente au Québec. Adulte, elle mesure seulement de 2,1 à 3,7 centimètres.

Mais ce n’est pas parce qu’elle est petite qu’elle ne joue pas un rôle important dans les écosystèmes où elle réside. C’est quelque chose qui semble échapper à la ministre fédérale de l’environnement Leona Aglukkaq et au consortium de construction Quintcap, qui sont tous les deux complices de la destruction d’une des 9 metapopulations de rainette faux-grillon restante au Québec. Vous avez bien lu, il ne restait en 2014 seulement 9 metapopulations (populations regroupées) de l’espèce au Québec. Autrefois vue comme commune et abondante, l’espèce a perdu plus de 90 % de son aire de répartition majoritairement à cause de l’étalement urbain et donc de la destruction de son habitat. Or, Quintcap implante depuis 2014 son projet immobilier Symbiocité et ses 1300 unités d’habitation exactement où se trouve la métapopulation du Bois de la Commune. Aucune autorité compétente ne semble vouloir agir:

  • La ministre fédérale de l’environnement Leona Aglukkaq a été sévèrement blâmée par la Cour fédérale en juin 2015: « Non seulement la ministre a­t­elle écarté d’une manière arbitraire et capricieuse l’opinion scientifique des experts de son ministère et de l’équipe de rétablissement de la rainette faux­grillon, mais suivre la logique ministérielle mène à un  résultat absurde et contraire à la loi ». L’émission d’un décret d’urgence pourrait protéger les milieux humides en question, mais la ministre refuse de le faire depuis plus d’un an.
  • La municipalité de La Prairie a en main toutes les données de nombreux plans de conservation de la rainette faux-grillon, dont celui préparé par le Centre d’information sur l’environnement de Longueuil et l’Équipe de rétablissement de la rainette faux-grillon de l’Ouest au Québec de 2008. Questionné par le journal Le Devoir en juillet 2015, la porte-parole de la ville a donné pour seule explication que le projet a obtenu tous les permis nécessaires à sa réalisation.
  • Même le ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques est à critique. Selon un rapport secret préparé par Environnement Canada obtenu par La Presse, « les représentants du Québec ont reconnu que la Ville de La Prairie n’avait pas respecté toutes les conditions d’un certificat d’autorisation délivré en 2007 pour le projet du Domaine de la nature. Des travaux illégaux ont alors entraîné la disparition de plusieurs étangs de reproduction ».

Si ce n’était du long combat judiciaire que mènent le Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE) et Nature Québec, la métapopulation de rainette faux-grillon n’aurait aucune chance. Ces deux organismes ont déposé de nombreuses requêtes en Cour fédérale pour que le ministère fédéral de l’Environnement fasse son travail dans le dossier, soit de protéger les espèces en péril dont fait partie l’espèce. Leurs efforts ont porté fruit en juillet 2015, lorsque le juge Luc Martineau a donné 6 mois à la ministre Aglukkaq pour reprendre l’étude de dossier.

 

David contre Goliath

Tel que mentionné en introduction, le développement immobilier Symbiocité se développe exactement où la métapopulation du Bois de la Commune est située, soit à l’intersection de l’autoroute 30 et du chemin St-Jean (104).

Pour illustrer ce propos, voici une carte provenant du Plan de conservation de la rainette faux-grillon en Montérégie, présenté en 2008 à la municipalité de La Prairie, de même qu’une cartographie du projet Symbiocité :

Le projet Symbiocité s'est implanté dans l'habitat de l''une des 9 metapopulations de rainette faux-grillon restante au Québec.

Tous les points rouges et blancs sur la carte représentent des habitats de reproduction utilisés par la rainette lors des derniers recensements en 2004 sur la parcelle. Il est aisé de constater que les 1400 habitations prévues détruiront une grande partie de ces habitats. Les quelques habitats restants seront isolés les uns des autres et la métapopulation finira par disparaitre par manque de diversité génétique.

Comble d’ironie, le projet Symbiocité est présenté comme un projet vert et respectueux de l’environnement parce qu’un parc de conservation est prévu sur la moitié de la superficie du développement (87,7 hectares). Or, toujours selon le rapport secret obtenu par La Presse, « le parc de conservation prévu par la ville au coût de 5,2 millions de dollars ne permettra pas d’assurer la survie de l’espèce […]. Le ministère québécois de l’Environnement reconnaît d’ailleurs que moins de 15 % de l’habitat de la rainette sera sauvegardé grâce au parc, ce qui inclut des étangs artificiels qui devront être aménagés par la ville. Mais la technique est contestée et n’a pas fait ses preuves. »

Interrogée par le journal Le Devoir, la directrice du CQDE, Karine Péloffy, en rajoute: « ce parc n’est pas du tout le meilleur habitat pour la rainette et […] l’emplacement a été choisi par « convenance », et non en fonction des besoins de l’espèce ».

La rainette faux-grillon

La plus petite grenouille du Québec est malheureusement aussi la plus menacée. Auparavant commune un peu partout au sud-ouest de la province, l’espèce ne compte plus que 9 métapopulations et 7 populations isolées réparties sur la Rive-Sud de Montréal entre Saint-Stanislas-de-Kostka et Varennes. Tous les experts sont d’accord sur un point: la conservation de l’espèce passe minimalement par le maintien de ces quelques populations.

Outre sa taille, plusieurs traits physiologiques la distinguent: son dos est de couleur gris-brun / vert olive et est ornée de trois larges rayures foncées longitudinales. Également, la rainette faux-grillon dispose de disques adhérant peu développés sur ses doigts, si bien qu’elle n’est pas une bonne grimpeuse.

Représentation de l’habitat essentiel d’une population de rainette faux-grillon.

L’espèce utilise des milieux humides temporaires et peu profonds (marre d’eau temporaire, étang, fossé, clairière inondée, etc.) pour se reproduire au printemps. La rainette utilise ces milieux en particulier parce qu’ils sont habituellement dépourvus de poissons ou autres prédateurs pouvant attaquer leur progéniture. Ce sont ces lieux qui doivent être protégés, car tout leur cycle de vie s’y rattache.

Effectivement, une fois matures, les jeunes vont rejoindre les rainettes matures et vivent majoritairement en zone terrestre (friches, fourrés, bois humides). Cet habitat fournit à la rainette les invertébrés (fourmis, araignées, limaces, etc.) qui composent sa diète. Cependant, étant donné leur petite taille et leur vitesse de déplacement, les rainettes s’éloignent très rarement à plus de 300 mètres de leur lieu de reproduction. Toutes les zones de reproduction doivent donc être protégées avec un rayon de 250 mètre plus 50 mètres de zone tampon.

Représentation des zones de reproduction de la rainette faux-grillon.

La rainette faux-grillon est la première espèce d’anoure au Québec à se reproduire, dès la fin mars. Vous avez peut-être déjà entendu le chant de la rainette, les mâles chantent de jour comme de soir pour attirer les femelles. Autrefois, lorsque plus commune, ces chorales annonçaient le retour du printemps de Longueuil jusqu’à Granby…

Bref, il est minuit moins un pour sauver la rainette faux-grillon, espèce emblématique de la Montérégie. Autrefois commune, l’espèce a perdu plus de 90 % de son habitat au profit de l’urbanisation. L’une des plus importantes métapopulation restante, celle du Bois de la Commune, est menacée par un développement immobilier de 1300 unités d’habitation. Au lieu de protéger l’espèce en péril, toutes les autorités compétentes ferment les yeux et ouvrent le porte-feuille. Or, un simple décret d’urgence du ministère fédéral de l’Environnement suffirait à protéger l’espèce et les milieux en question. Est-ce qu’un changement de gouvernement pourrait faire changer les choses? Bien sûr. Mais il sera peut-être trop tard, parce que pendant qu’on en parle, les condos continuent de pousser dans l’habitat naturel de la rainette faux-grillon…

Cet article a été écrit pour le magazine Vitalité Québec (parution: octobre 2015) , qui m’a gracieusement donné la permission de le publier sur Écoactualité.

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